4/24/2011

De bonnes nouvelles

Même si les tours d'horizon des concerts que je réalise fréquemment (notamment par la lecture approfondie de La Lettre du Musicien) témoignent de la stabilité quasi inébranlable des choix des décideurs pour des "programmations masculines", je constate par contre que les choses continuent à bouger au niveau des enregistrements.

La discographie que j'ai donnée dans mon ouvrage s'est beaucoup enrichie depuis sa parution en 2006. Notons l'ajout d'œuvres mettant en jeu de grandes forces orchestrales comme l'opéra de Louise Bertin La Esmeralda (1836) et la Fantaisie pour piano et orchestre (1913) de Nadia Boulanger.

Un nouvel ajout est le CD réalisé par le Quatuor Florestan de Strasbourg (Philippe Lindecker et Sylvie Brenner (violons), Roland Cheney (alto) et Agnès Lindecker (violoncelle), chez Solstice, qui est sorti le 26 avril 2011. Un concert a marqué cette sortie, le dimanche 8 mai 2011, à 17h30, à l'Eglise Saint-Guillaume de Strasbourg. Pour des renseignements, contacter Les Amis du Quatuor Florestan: 03 88 45 08 55 et quatuor.florestan@sfr.fr

Cet enregistrement regroupe deux quatuors à cordes:

- celui de Fanny Hensel (1805-1847), la sœur de Félix Mendelssohn. L'œuvre date de 1834. Pour connaître cette formidable créatrice, qui commence juste à vraiment émerger, on peut se procurer la biographie que Françoise Tillard lui a consacrée. Il s'agit là du premier enregistrement de cette œuvre par un quatuor français. Restée inédite du vivant de la compositrice, elle a été publiée par les éditions Furore de Kassel.

- celui de Marie Jaëll (1846-1925). Il s'agit là du premier enregistrement de cette œuvre, qui date de 1875 et était aussi restée inédite. Elle a été créée par le Quatuor Florestan le 19 septembre 2010 à la Bibliothèque Nationale Universitaire de Strasbourg lors des Journées Européennes du Patrimoine. J'en profite pour saluer ici l'énergie de la responsable du quatuor, Annie Cheney, qui a permis à cet enregistrement de voir le jour, et le travail d'édition de Sébastien Troester, qui vient de publier l'œuvre, à partir des partitions manuscrites. Pour en savoir plus sur Marie Jaëll, vous pouvez visiter l'exposition réalisée par Marie-Laure Ingelaere à la BNU.



Marie Jaëll est en train de vivre de manière posthume un parcours similaire à celui de Mel Bonis, que j'évoque dans mon premier message.

Si ces activités de pédagogue ont été perpétuées par nombre de ses élèves (voir par exemple l'Association Marie Jaëll ou le site de la pianiste Catherine Guichard), ses activités de compositrice ont commencé à prendre leur véritable place grâce à Marie-Laure Ingelaere. Elle s'est occupée pendant de longues années du fonds de partitions présent à la BNU de Strasbourg et a effectué tout un travail de recherche. Des enregistrements de musique de piano, de musique de chambre et de mélodies ont commencé à paraître à partir de 1997, par Alexandre Sorel, Lisa et Lara Erbès, Catherine Dubosc, Françoise Tillard, etc., et maintenant celui du Quatuor. J'ai pu de mon côté consulter nombre de partitions du fonds et prendre la mesure de l'importance de Marie Jaëll dans la vie musicale française de la fin du XIXe siècle. Cette compositrice est donc très présente dans mon livre, notamment pour sa musique symphonique.

Sous l'impulsion de Marie-Laure Ingelaere, l'Association-Fondation Marie Jaëll qui a aidé à la parution du CD du Quatuor Florestan, est devenue récemment plus simplement Association Marie Jaëll-Alsace; elle rassemble un nombre croissant de membres qui ont à coeur de faire valoir l'œuvre de Marie Jaëll.

Pour tout renseignement et pour adhérer à l'association, s'adresser à Marie-Laure Ingelaere, 25 rue de Mulhouse, 67100 Strasbourg (France) ou ml.ingelaere@orange.fr

1/24/2011

Un petit tour à Vienne

Au début de chaque année, un grand symbole de la misogynie dans le monde de la musique dite classique envahit les écrans du monde entier: le concert du nouvel an de l'Orchestre Philharmonique de Vienne. Car cet orchestre résiste farouchement à la présence de musiciennes dans ses rangs. On n'y compte actuellement que 4 femmes sur un orchestre de 128 personnes: Isabelle Ballot parmi les premiers violons, Ursula Plaichinger et Daniela Ivanova parmi les altos et Charlotte Balzereit à la harpe.

Rétros, les Viennois, ils ne font pas mieux que les grands orchestres parisiens du début du XXe siècle!

Il se trouve qu'ils en sont fiers, dans un esprit autant raciste que sexiste. Ce n'est que le 27 février 1997 que l'orchestre a admis officiellement des femmes. Une harpiste qui en faisait partie de manière inofficielle depuis 26 ans, Anna Lelkes, est alors devenue membre, et ceci un jour avant un concert de l'orchestre à Carnegie Hall, où l'attendait une manifestation féministe menée par l'International Alliance for Women in Music. Pour tous les détails, voir le site de William Osborne, un musicien américain qui s'est engagé dans la lutte contre le sexisme du monde de la musique, après la discrimination dont a souffert son épouse, la tromboniste Abbie Conant, quand elle faisait partie de l'Orchestre Philharmonique de Munich.

La situation s'améliore-t-elle? On compte en ce moment 3 femmes sur les 13 personnes en attente de titularisation: Albena Danailova, qui fait partie des quatre super-solistes, Olesya Kurilak parmi les premiers violons et Ursula Wex parmi les violoncellistes. Mais, face à cette arrivée "massive" de musiciennes, l'orchestre en rajouterait-il dans la provocation? En effet, le concert de nouvel an de cette année a vu la création d'une nouvelle tenue de concert, "unisexe", que vous pouvez voir présentée par quatre des musiciennes sur le site du quotidien autrichien Die Standard. Une manière de rendre les femmes le moins visibles possible.

Et qu'en est-il des autres orchestres symphoniques? William Osborne a exploré en 2009 la situation pour 35 orchestres européens et américains. Je suis de mon côté allée voir ce qu'il en était début 2011 dans cinq grands orchestres, le Chicago Symphony Orchestra, le Koninklijk Concertgebouworkest, l'Orchestre National de France, le London Symphony Orchestra et les Berliner Philharmoniker.

Résultats provisoires, car je reviendrai sur la répartition par instruments et les postes de solistes, des marqueurs importants:
Chicago Symphony Orchestra, 34 femmes sur 98 musiciens
Koninklijk Concertgebouworkest, 38 sur 114
London Symphony Orchestra, 27 sur 97
Orchestre National de France, 35 (au moins, des prénoms étant ambigus) sur 120
Berliner Philharmoniker, 17 sur 122